Andrzej Sapkowski est un auteur aux multiples facettes et nombreuses connaissances. Ceci se reflète dans les sources qui l’ont inspiré dans son écriture. On a déjà parlé de la façon dont il a puisé dans les différentes mythologies. On a réfléchi à la présence des contes dans ses créations. Il nous reste un grand domaine qui a inspiré un très grand nombre d’écrivains fantasy. J’ai nommé les mythes du roi Arthur et toutes les légendes qui ont été tissées autour.
Un bref aperçu historique
L’idée ici n’est pas de faire une chronologie précise des mythes du roi Arthur. Le sujet captive grand public et académiciens depuis bien trop longtemps pour que l’humble auteure de la présente se pose en pro du sujet.
Rappelons juste que le premier à avoir rédigé les mythes arthuriens est Chrétien de Troyes, au XIIIème siècle. Avant cela, ils étaient transmis oralement par les ménestrels bretons. Puis, une fois qu’ils ont commencé à être rédigés, les versions se sont multipliées. Thomas Mallory au Moyen-âge ou Marion Zimmer Bradley dans les années 1980, romans, nouvelles, cinéma et séries: les mythes du roi Arthur sont tout simplement partout. Ils forment ainsi plus de huit siècles de littérature, de remaniements, de réécritures.
Selon certains chercheurs, les mythes du roi Arthur et des chevaliers de la Table Ronde étaient censés rappeler les valeurs chevaleresques aux chevaliers médiévaux. Mais aussi, l’idée était de donner une meilleure image de la chevalerie au peuple, car, parlons franchement, ce n’étaient pas des enfants de chœur. Au contraire, ils étaient même plutôt connus pour être des pillards violeurs cruels et violents. C’est pourquoi les chevaliers étaient présentés de façon dithyrambique dans les chansons de geste.
Sapkowski et le roi Arthur
Les références aux mythes du roi Arthur sont très nombreuses dans Le Sorceleur. On peut les lire dès les titres des livres. Par exemple, on remarque tout de suite le titre du tome La Dame du Lac. Inutile de préciser que ça se réfère à la dame du lac, aussi connue sous le nom de Vivienne ou de Nimue.
Tiens, parlons-en, de Nimue. Elle revient à plusieurs reprises dans La Dame du Lac, mais aussi dans La Saison des Orages. C’est aussi le cas de Galahad.
Yen et Galahad
Les noms propres renvoient souvent au monde arthurien chez Sapkowski. L’étude des noms propres, que l’on appelle « onomastique« , est très révélatrice à ce propos. Prenons par exemple Yennefer. Pour rappel, elle est le grand amour de Geralt, tant dans le livre que dans le jeu (si tel est votre choix). Eh bien, ça ne fait pas seulement penser au prénom moderne « Jennifer », mais aussi (et surtout) aux variations anglo-saxonnes de « Guenièvre »: « Gwenifer », « Gwenhwyfar » (pour la version la plus médiévale, que l’on retrouve notamment chez Marion Zimmer Bradley). Cette racine est assez importante pour que l’auteur la souligne dans le livre:
Tu es bien venu avec cette magicienne aux cheveux noirs, comment s’appelle-t-elle? Guinever, je crois… (L’Epée de la Providence)
Or, rappelons-le, Guenièvre était la femme d’Arthur et l’amour de sa vie dans nombre de versions des mythes du roi Arthur. Le parallèle entre Arthur et Geralt s’établit donc tout naturellement.
Le point de vue des chercheurs
En Pologne, il y a des académiciens qui commencent à s’intéresser de très près à la création de Sapkowski. C’est franchement génial, car cela montre que la fantasy commence vraiment à intéresser tous les cercles. Et pas que la fantasy, aussi la culture populaire en général. On la voit de moins en moins comme quelque chose de borderline, réservé aux idiots et aux enfants. Et c’est d’ailleurs fort loin d’être le cas…
Mais trêve de digressions. Si je mentionne ça, c’est parce que plusieurs chercheurs ont réellement lu Le Sorceleur à la lumière des mythes du roi Arthur(Katarzyna Łęk, Natalia Lemann). Elles ont par exemple remarqué que le personnage de Ciri pouvait être vu comme une allégorie du Graal, dans le sens ou Geralt (Arthur) et ses compagnons (ses chevaliers) sont quand même en quête de Ciri pendant cinq tomes. Ceci continue d’ailleurs dans le jeu, car la première partie de Witcher III est consacrée à la recherche de Yennefer, puis de Ciri.
Elles ont aussi remarqué que le personnage de Emhyr var Emreis, l’empereur du Nilfgaard, était une réinterprétation du roi pêcheur, personnage emblématique des mythes du roi Arthur. Comment ont-elles abouti à cette conclusion? Eh bien, en s’intéressant aux armoiries d’Emhyr:
Ses armoiries représentent des poissons argentés en alternance avec des couronnes sur une surface bleue et rouge quadripède. (Le Temps du Mépris)
En plus, il a un poisson centenaire dans son jardin.
Les chercheuses ont rédigé un travail de cent pages rien que sur ce sujet. Toutes leurs idées ne seront pas résumées ici. Contentons-nous de souligner que ce sont des observations précises et justifiables avec lesquelles il est facile d’être d’accord.
Les mythes du roi Arthur dans The Witcher III
Les inspirations arthuriennes de Sapkowski ne sont pas passées inaperçues chez CD Projekt Red. Ainsi, les créateurs du jeu ont intégré des références très claires, très directes à leur univers.
Déjà, on a tout l’espace de Toussaint dans Blood and Wine. L’extension fait voyager le joueur dans des paysages très en rapport avec les mythes de la Table Ronde. Chevaliers errants, honneur, tournois et gentes dames: tout cela crée une atmosphère qui fait penser au monde de Camelot.
Ensuite, il y a le personnage même de la dame du lac. Elle était déjà présente dans le premier opus du jeu, et elle revient le temps d’une brève quête. Geralt doit affronter un ermite sur un lac. Un bref dialogue s’ensuite, au terme duquel le joueur récupère une épée unique qui lui est confiée par Vivienne. Exactement comme pour le roi Arthur…
Le mot de la fin
Pour terminer cette réflexion, précisons que Sapkowski lui-même a admis s’être inspiré des mythes du roi Arthur. Il a donné une interview à un chercheur du nom de Stanisław Bereś. Et pas n’importe quelle interview: elle fait 200 pages et un livre entier, intitulé Historia i Fantastyka [Histoire et fantasy], où l’auteur parle des divers aspects de son travail. Là, Sapkowski dit très clairement avoir carrément inséré des dialogues entiers issus de Thomas Mallory dans ses livres. Il est donc plutôt logique de penser que différents aspects de ses ouvrages s’en sont inspirés.
Cette analyse mériterait certainement d’être approfondie, mais elle prendrait des dizaines de pages. Dans tous les cas, quand vous jouerez à Witcher III ou que vous lirez Le Sorceleur, guettez-donc ces références!